La chronique de Bill : Bill le profane

22 février 2011

VU DE L’EXTERIEUR
Mince, c’est déjà commencé. Les gradins côté porte sont pleins. Bon, je m’assieds où, moi ? Pas du côté des « autres » quand même. Allez, pousse-toi un peu que je me pose. Fait pas chaud dans cette salle, je vais garder mon blouson. Côté terrain, les jaunes à l’attaque. Les jaunes, c’est nous. J’sais même pas qui c’est les autres, mais ils sont en bleu. Et vas-y que j’avance, et vas-y que j’recule, et vas-y que j’fonce dans le tas. Triiit, je sais pas pourquoi. Et crac, boulet de canon, sur le gardien, c’est raté pour cette fois. Tous les jaunes rappliquent vite fait en face de nous. Charge des bleus. Triiit, là je sais, même moi j’ai vu qu’il marchait le mec. Et hop, ça galope de l’autre côté. Une blondinette passe devant nous sur sa Ferrari en plastique. Triiit, triiit. Deux coups, ils ont marqué, j’ai rien vu. Triiit. C’est quoi cette fois ? Ah oui, ils étaient pas en ligne, les bleus. J’ai fini par comprendre, à force. Le chrono avance, le score grossit, plus vite à gauche qu’à droite, encore heureux. Attaque des nôtres. Un jaune par terre, triiit. Le public côté porte hurle. Le bras de l’arbitre se lève, index et majeur en V. Ah oui, ça c’est « deux minutes » pour le puni. Il paraît que c’est un avantage pour les autres mais j’ai toujours trouvé que c’était plutôt l’inverse. J’ai même déjà vu une équipe avec deux punis ne pas prendre de but. Bon, c’est reparti. Fait toujours aussi froid dans cette salle. Faudrait p’têt s’agiter un peu sur les gradins. Triiit, triiit, un but. Pour qui le but ? Pour les autres. Faut bien qu’ils marquent aussi. Une petite brune passe en poussant un landau avec un ours en peluche dedans. Les gradins huent ou encouragent, selon qui a le ballon. Ca galope d’un côté à l’autre sans s’arrêter. Rien que de les voir, ça me fatigue. Triiit, moulinet des bras. Ca veut dire quoi çà, déjà ? Ah oui, il y en a encore un qui se croit dans un stade d’athlé. Et le score ? Ca va, on mène.
Pouêêêt. C’est fini. Pause. Les joueurs ramassent leurs sacs et se cassent vers les vestiaires. La blondinette à la Ferrari saute dans les bras de son paternel. Les autres mômes envahissent le terrain avec des ballons. Les joueurs qui ne sont pas encore montés dessus, aussi. C’est le moment d’aller boire un coup à la cafèt’.
Pouêêêt. C’est reparti pour une demi-heure de plus. Ah oui, c’est vrai, ils ont changé de côté, faut que je m’habitue. Un gamin demande à boire à sa mère. Triiit, l’arbitre fait des gestes bizarres que je comprends pas, comme d’hab. Il s’est passé quoi, là ? Aucune idée mais ça ressemble à un pénalty. Triiit. Le joueur mouline du bras et crac, trucide le gardien. C’est bon qu’il y a le mur derrière, sinon il y aurait un trou dans le filet. Un bébé dort gentiment dans sa poussette malgré le ramdam autour. Ca repart de l’autre côté. Passe, passe, passe. Re-passe, re-passe, re-passe. A gauche, au centre, à droite, au centre, à gauche. « Ca joue pas ! » proteste le public. Dans les gradins, ça applaudit en rythme. Un bleu se lance, son tir est repoussé du bout de la godasse par le gardien. A nous maintenant, le tableau indique 29-13. Paf, but pour nous. « Santé ! » crie quelqu’un derrière moi. Je me demande bien pourquoi. Distribution générale de biscuits aux moins de cinq ans. J’me mangerais bien quelque chose aussi tiens, j’ai la dalle. Les autres courent toujours, j’me demande comment ils font. Il y en a qui sont quand même plus tout jeunes dans le lot. Pouêêêt. Temps mort demandé par les bleus. Normal, ils sont en train de se prendre une tatouille. Pouêêêt. C’est reparti. Triiit, l’arbitre se tourne vers nous. Qu’est-ce qu’il nous veut, çui-là ? Un gamin se lève des gradins et se précipite avec un torchon. Ah oui, il y en a encore un qui s’est vautré et faut essuyer. Ca repart dans l’autre sens, passe, passe, plongeon, but. « Tir en suspension » j’crois que ça s’appelle. J’y connais que dalle mais c’est bien foutu. En même temps, ça doit faire un mal de chien de se ramasser la tronche par terre comme ça. Comment ils font pour pas être tout cassés, à force ? Ceci dit, j’en vois quand même plusieurs avec des genouillères ou des chevillières, voire les deux. Dangereux, le sport, finalement.
Pouêêêt. C’est fini. On a gagné. Applaudissements. Les joueurs se serrent la pince et applaudissent le public. Nous, on est debout sur les gradins et on applaudit aussi. Le bébé dort toujours, j’me demande comment il fait dans ce chambard. Les papas embrassent leurs enfants et les mamans ramassent les jouets, les restes de biscuits, les trognons de pomme et les bouteilles vides. Distribution de chiffons et de vaporisateurs de je n’sais quel truc puant aux joueurs qui se mettent en ligne pour nettoyer le parquet. Bizarre, ils ont pas un service spécialisé pour ça ? C’est l’heure de remonter à la cafèt’. Bière pour tout le monde. Les mômes jouent dans un coin. Les joueurs arrivent au compte-gouttes. Un plateau de sandwiches apparaît. Le temps de le poser sur une table et zou, il est vide. Ca creuse, le sport.
Bon, il est tard, on reviendra dans quinze jours.

Bill le profane.